Megumi n'a pas un caractère qui pourrait être qualifié de « commun ». Celui-ci est ambiguë, penchant tantôt vers ça ou plutôt vers ci, prenant maints et maints aspects différents. Pour faire simple, nous le schématiserons de la façon suivante : c'est un iceberg. Bon nombre de personne ne pourront distinguer que sa partie visible, celle qui émerge.

A première vue, le jeune homme est un associable, voire carrément un misanthrope. Il reste toujours dans son coin, soit en train de griffonner on ne sait quoi dans son précieux carnet -celui-ci ne le quittant presque jamais- soit en train de regarder ou ne sait où, mais jamais là où il faudrait... Oui, de ce point de vue là, Megumi est une personne en marge de la société, se retranchant dans son monde où aucun autre individu ne semble pouvoir accéder. Il se montre légèrement froid -le degré d'intensité varie selon la personne- envers ceux qui lui adresse la parole. Et pour cause ! N'étant pas bavard de nature, le jeune homme n'a jamais vécut parmi les autres et ne sait donc pas comment se comporter envers eux. Non pas qu'il n'ait jamais connu l'amitié, loin de là... Disons plutôt qu'il n'en garde pas un souvenir très joyeux.
Bref, à première vue, Megumi est tout sauf chaleureux. Mais cela n'est qu'une façade, une sorte de « cocon » dans lequel il s'est emmitouflé, cherchant à décourager les autres à venir vers lui. Et, jusqu'à présent, il faut croire que cette tactique est pour le moins fructueuse.

Mais le jeune homme ne se résume pas à cela. Malgré l'impression de froideur qu'il donne, malgré son regard qui reste sans cesse vide et inexpressif, Megumi n'est pas ça. Il y a autre chose. Un peu plus profondément enfoui en lui, certes, mais il y a autre chose. Quelque chose de bien plus expressif. De bien plus douloureux. Des expressions appartenant à un vivant et non un placide pantin. La partie inférieure de l'iceberg, celle que personne ne voit sans la chercher. Sa vraie consistance, les choses qui l'on meurtrit et celles qui l'on apaisé. Les sourires et les larmes. Les larmes surtout...

« Les plus belles choses sont éphémères ». Cette phrase ne le quitte pas. Jamais. Incessant écho de son amie déchue, le jeune homme ne peut l'oublier. C'est un cadeau, un avertissement qu'elle lui a laissé. Une malédiction. Il n'y a pas un jour où cette phrase ne resurgisse du tréfonds de ses pensées. Megumi ne peut définitivement pas l'oublier. Ni elle ni le fait qu'il ait les mains tâchées de sang. Il sait que c'est un mensonge. Que ce n'est pas sa faute. Mais une partie de lui, la plus méprisable et la plus vicieuse, la plus sale de toutes, ne peut s'empêcher de lui susurrer cela ; « en es-tu sûr ? » . C'est aussi là un de ses principaux défauts : il ne peut cesser de se remettre en question pour un rien...
Megumi est une personne de nature fragile, autant pour ce qui est de sa santé et de son moral. Il a passé une bonne partie de son enfance dans les hôpitaux ou sur les divans d'un psychologue. Enfin dans la mesure où il n'aime pas parler de lui cela n'aboutit jamais à de très grands résultats...
Le jeune homme manque aussi terriblement de confiance en lui et éprouve parfois un complexe d'infériorité excessif. Ses parents n'arrangent vraiment pas la chose, le sous-estimant et le dévalorisant en permanence. Il est particulièrement mal à l'aise envers son père à qui il ne peut pas s'opposer. Ou disons plutôt qu'il n'en trouve pas le courage. Bien qu'il haït profondément cette personne, il ne peut se rebeller contre elle. Il cherche plutôt à ses faire accepter, répondant à la moindre de ses exigences...sans succès.
Sinon, Megumi est du genre tête en l'air et maladroit ce qui lui donne un côté attachant. Malgré tout, il est très adroit pour les tâches manuelles, en particulier le dessin ou la peinture. C'est une sorte d'échappatoire pour lui, un quelconque moyen de s'évader, de fuir la réalité quelque instant. Ayant d'ailleurs hérité de la même passion que sa défunte amie pour la beauté, il n'hésitera pas à arrêter toutes occupations pour reproduire sur le papier ce qui a accroché son regard.
Le jeune homme parle aussi bien le japonais que le français, ce dernier lui ayant été imposé comme apprentissage dès sa plus jeune enfance. Il ne l'emploie que rarement mais il lui arrive parfois de le parler, généralement lorsqu'il est seul -oui, il lui arrive de parler tout seul...

Megumi ne diffère en rien d'une adorable poupée de porcelaine. Il a un physique pour le moins particulier, peu commun aux autres garçons de son âge. Étant un tantinet androgyne, le jeune homme ne fait qu'accentuer chez lui cette particularité, se foutant, pour ainsi dire, royalement de ce qu'on pourrait en penser. Oui, s'il y a bien un point sur lequel il prend lui même ses décisions sans se soucier l'avis de sa famille, c'est bel et bien sur son apparence.
N'appréciant pas vraiment ses origines asiatiques, Megumi se teint les cheveux depuis son plus jeune âge et porte des lentilles de contact colorées, les couleurs variant selon ses envies. Ça peut paraître idiot -et ça l'est sûrement- mais il fait de son mieux pour ressembler aux occidentaux qu'il a côtoyé durant une certaine période et toujours admiré.
Cette allure « artificielle » s'accorde parfaitement avec son regard éteint, semblable en tout point avec jouet. Beau mais pourtant dénué de tout charme, tel une statue de marbre. Peut importe ce qu'il fait, le jeune homme a toujours cet air triste et détaché, semblant être inaccessible. C'est peut-être vrai. Tout comme cela peut-être faux...

Megumi est d'une faible constitution, comme l'a démontrée ses nombreux séjours dans les hôpitaux. Il tombe souvent malade et, de ce fait, il est plutôt chétif et supporte bien mal les conditions climatiques trop intenses ainsi que les efforts physiques importants. Son corps est plus frêle que celui des personnes ordinaires -même s'il fait bien 1m83- et cela complexe le jeune homme qui se sent encore plus inférieur qu'il ne l'est déjà. Peu importe ô combien il fait des efforts, il sait pertinemment qu'il sera classé en dessous de tous...

Megumi est quelqu'un d'extrêmement soigneux quant à son apparence. Il prend soin de lui -à défaut de pouvoir faire autrement...- et aime s'habiller de façon convenable -notez que ce dernier mot est on ne peut plus subjectif. Son style vestimentaire n'est pas défini, il se soucie peu du style dans la mesure où celui-ci lui plaît. Il a tout de même un penchant pour les habits de couleurs sombres, notamment le noir et le rouge. Le jeune homme apprécie aussi tout particulièrement les accessoires et a une fâcheuse tendance à en porter toujours plus qu'il ne le faudrait. Il a d'ailleurs un bon nombre de piercing aux oreilles ainsi qu'un sous la lèvre inférieure.
Il arrive parfois que, dès que son moral devient dangereusement bas, Megumi change radicalement de look. Entendez par cela qu'il opte pour un style bien plus « sombre » et n'hésite pas un seul instant à forcer sur le fard à paupières... C'est une sorte d'alarme qui prévient son entourage de ne surtout pas l'approcher et ce, sous aucun prétexte. Mais, paradoxalement, peut-être qu'il s'agit là d'un appel au secours désespéré...

N'attendez pas de moi que je vous raconte une enfance paisible, saine, et ponctuée de rire ou de souvenirs enfantins, d'une douce et sirupeuse innocence qui m'aurait été retirée. Non. Je ne peux vous fournir des souvenirs tels que cela. Pour dire vrai, ce que je m'apprête à vous livrer ici même n'est ni joyeux, ni nimbé d'une chaleureuse lumière. Non, il n'y a rien de tout cela.
Autrefois, au delà de la main que je tendais fébrilement vers ces ténèbres glaciales, je ne pouvais distinguer autre chose que le vide. Un vide béant où nuls de mes appels et de mes supplications n'étaient entendus. Rien de moins qu'un chaos portant ce stupide et commun nom de « famille ». Ma famille.

Jusqu'à présent, je n'ai porté aucune réelle attache envers mes géniteurs, et je ne doute pas un seul instant que cela ne soit réciproque. Pour eux, le mot enfant ne signifiait rien de plus qu'objet et profit. Tout comme pour moi le mot parent n'avait de plus grande signification qu'étranger...
Oui, voici la façon avec laquelle nous pouvions -et nous le pouvons malheureusement encore- voir notre relation. Nous n'étions rien de plus que des individus partageant le même sang. De parfaits inconnus vivant sous le même toit.

J'ai eu une éducation qui pourrait être qualifiée de stricte, rigoureuse ou bien encore exemplaire, mais je ne pense pas qu'il y ait de plus parfaite définition que méprisable. Vivant dans deux pays totalement différents que sont la France et le Japon, je n'ai jamais réellement pu fréquenter une quelconque école jusqu'à mes dix-neuf ans. Mon cher père étant à la tête d'une importante entreprise d'export-import il nous fut imposé de le suivre, moi et ma mère, dans ses nombreux déplacements. Et, cela impliquait donc que ma scolarité ne pu se dérouler ailleurs que chez moi, suivis de près par des professeurs particuliers.
Vous l'aurez deviné ; l'argent n'était pas ce qu'il manquait au sein de notre famille. Mais il n'en était pas moins le sujet de toute les discussions... J'avais appris, au fur et à mesure des années, à mépriser cette source d’intérêt inépuisable. Plus les gens en disposait et plus il en voulait. Et mes géniteurs ne faisaient pas entorse à la règle. Loin de là...

Pendant mes longs séjours à Paris -et malgré les multiples interdictions de fréquenter de sales gamins- je m'étais lié d'amitié avec une fille du voisinage ; Hélène. Je ne sais plus exactement le pourquoi du comment je l'avais rencontré, mais nous étions très proches, du moins autant que pouvait me le permettre ma situation.
Hélène était ma seule et unique amie, la seule personne que je voyais en dehors du personnel et de mes parents quand je n'étais pas dans mon pays natal. Elle était pleine de vie, joyeuse et souriante. L'exact opposé de moi qui était, et ce dès mon plus jeune âge, pessimiste et légèrement misanthrope... Mais peut importait ces différences, elles nous rapprochaient d'ailleurs plus qu'elles ne nous éloignaient. Quand je parlais dans sa langue -que je ne maîtrisais pas spécialement bien...- elle se moquait certes toujours de mon accent « étrange » mais je ne pouvais lui en tenir rigueur. Je préférais cela à l'indifférence que mon entourage me portait.
Hélène admirait excessivement les belles choses et s'extasiait devant leur beauté pendant des heures. Elle ne cessait de répéter que les plus belles merveilles de ce monde étaient éphémères. C'est pour cette raison précise que je me suis mis à dessiner. Je voulais que ces « merveilles » soient pour elle éternelles. Je riais à l'époque de sa conception du beau. Mais je ne pouvais savoir ô combien elle avait raison...

Les plus belles choses sont éphémères.

Ce n'était que plus tard, âgé de onze ans, que je comprenais enfin cette phrase.

C'était arrivé trop trop vite. Bien trop vite pour moi. La voiture l'avait percuté de plein fouet avant même que je ne puisse faire le moindre geste. J'avais tout vu. Tout entendu. Le corps d'Hélène qui restait comme suspendu dans les airs, semblant ne jamais vouloir atterrir sur le bitume froid de la route, les goûtes vermeilles qui s’échappèrent de ses lèvres muettes... Le bruit suraigus des roues crissant sur le sol retentissant lourdement dans la rue silencieuse, l'horrible craquement qu'émit ses os... Rien ne m'avait échappé. J'étais restais là, impuissant devant cette abomination, incapable de crier ou de détourner le regard.
Oui, ce n'est qu'en soutenant le corps frêle de mon amie, sa poitrine se soulevant dans un dernier spasme d'agonie et ses yeux autrefois si pétillants révulsés comme ceux d'un noyé que j'avais compris cette phrase.

Les plus belles choses sont éphémères.

Ma faute. On m'avait dit que tout cela n'était arrivé que par ma propre faute. Que jamais cela ne serait arrivé si je n'avais pas étais avec elle. Que c'était injuste. Que j'aurais du mourir à sa place.
Beaucoup de mots sont susceptibles de briser un enfant. Peut-être un bon millier. Mais je ne pense pas qu'il puisse avoir de mots pires que cela. Je ne pense pas qu'il y ait de plus horribles choses que de cracher cela à la figure d'un enfant qui venait de voir son ami mourir juste devant ses yeux.

Depuis ce jour, je ne suis plus revenu en France. Je ne pouvais pas. Pas après tout ce qui s'y était déroulé. Pas après sa mort... Les choses devenaient si fades et si monotones...si...si futiles. Moi qui avait déjà du mal à excepter l'existence de couleurs, j'étais à présent incapable de voir le monde autre qu'en valeurs de gris. Il n'y avait rien. Plus rien...
J'ai donc continué à vivre ma vie de la façon qu'on avait choisi pour moi. Je n'avais pas d'opinion propre, je ne faisais qu’exécuter ce qu'on me disait de faire, suivre la voie que mon père voulait que je suive. Les choses étaient aussi simples que cela. Je ne pouvais répondre autre chose que « oui » à tout ce qu'on me disait.
Ma mère étant tombée un jour sur mes nombreux carnets de dessins avait décrété que j'étais destiné à devenir designer ou architecte. Bien évidemment, je n'avais pas mon mot à dire. A quoi bon changer les bonnes vieilles habitudes ?..

Et, avant même de pouvoir le réaliser, j'étais inscrit dans une des grandes universités de Kyoto...