Les journées se succédaient et se ressemblaient, à peu de choses près. C’était un fait que je ne pouvais nier. En général, je séchais les cours de la matinée pour dormir, fumer et apprendre à manger avec des baguettes. L’après-midi, je me contentais d’assister aux enseignements qui me semblaient les plus utilitaires et qui m’assuraient une sauvegarde et un maintien dans le cursus universitaire. Sinon, c’était retour à la case départ, direction l’Angleterre. J’avais appris à ne jamais revenir sur l’empreinte de mes pas. Réintégrer la prison aurait été un échec aberrant. Et cela m’aurait paru bien malheureux.

Les journées se succédaient et se ressemblaient, cela est véridique. Néanmoins, aujourd’hui était un jour bien peu ordinaire, en vérité. Je me garderai bien de signaler que - a priori – je n’avais empoché aucune beigne, jusqu’à présent. Mais cette abstraction, cette défaillance inattendue me rendait toute chose. Je ne me sentais, pour ainsi dire, pas dans mon état normal.

Je décidais, donc, de quitter l’établissement afin de tester l’efficacité et le bon fonctionnement de ma connerie sur mes congénères. Je me rendis au parc, les idées biens en place et l’esprit libéré de tout obstacle et proscription.  Dehors, une masse exorbitante de « chintoks » ( Appréciez  la répartie ! ) se pressaient çà et là, en un va-et-vient continu. C’était suffisant pour me faire jubiler.  Restait plus qu’à trouver quelqu’un à défriser. Et ça ne risquait pas tellement d’être compliqué.

Enfin, toujours était-il que j’avais l’estomac en vrac et une irrésistible – bien que coutumière – envie de fumer. En conséquence, je décidai de m’installer sur un muret en altitude, de manière à garder un œil sur les différents groupes qui s’étaient formés. Je commençais à peine à sortir mes Lucky strike, lorsque je remarquai, du haut de mon perchoir, cette jeune fille un peu absente, un peu distraite, un peu désorientée aussi. Je ne sais plus trop pourquoi, mais je crois que cette image me plût. Je restais là à l’épier quelques instants.

Je fronçai les sourcils. Quelque chose me turlupinait. J’avais beau me creuser la tête, rien à faire, je fus pris d’un curieux trou de mémoire. Cette fille me disait quelque chose … C’était bien ma veine, tiens ! Moi qui prônait haut et fort que les asiatiques étaient tous les mêmes ! Je fermai les yeux, tentant de me remémorer son visage dans les sillons de ma mémoire.

Misaki Rin.

Elle va se faire bouffer ! Je haussais les épaules. Tant pis, elle n’avait qu’à bien se tenir …

Je m’apprêtai à porte mon attention sur quelque chose de plus intéressant, quand, justement, je me rendis compte qu’il n’y avait rien de plus attrayant et fructueux que cette intrigante situation. Je remerciai Dieu de me donner une telle opportunité. Patiemment, j’attendis que la jeune femme se rapproche du muret, afin qu’elle soit à ma portée. Quand cela fut fait, je me penchai pour lui alléguer trois petits coups de poigne sur la tête.

- Misaki Rin … en personne ! Je brassai l’air et composai des gesticulations exagérées en guise de salutation. Me voilà honoré.

Un sourire défectueux  se dessina sur mes lèvres lorsqu’elle se retourna.

- Et quelle originalité ! La meneuse d’Ousen … en plein coeur d’Ouran ! Je brandis une cigarette et l’allumai. Vous n’avez pas froid aux yeux, dis-donc ! Attendez un peu que les gens vous reconnaissent …

Sans attendre, je mimai une tête tranchée avec ma main, comme si elle ne se rendait pas suffisamment compte que c’était du suicide.

- Vous êtes morte.

   Au premier abord, j’avais cru - et naïvement – percevoir une jeune fille mal à l’aise, déboussolée et même un peu nerveuse. Mais, désormais, ce n’était plus le cas. Comme si une fille à la tête de toute une université et de centaines d’étudiants pouvait être aussi bénigne ! Evidemment, cela m’aurait paru impossible. Rien que pour se faire entendre des hommes, il fallait avoir la tête dure.

C’est quand elle a relevé la sienne, que j’ai réalisé mon erreur. Ses yeux transcendaient le dénigrement, ce n’était même pas une fille bien rangée, c’était une récalcitrante. On aurait dit qu’elle me menacé, alors que c’était moi qui avait lancé la première pierre.

- La peur n'engendre rien de bon, je l'ai donc chassée. A qui ai-je l'honneur ?

Mais merde, elle n’était pas en mesure de me poser des questions ! Il fallait que je reprenne les choses en mains, ce n’était pas une meneuse ridicule qui allait me faire chanter, nom de Dieu ! Certes, elle avait le droit de savoir à qui elle avait affaire, et c’était peut-être même la première question qui m’aurait traversée l’esprit si les rôles avaient été inversés, mais tout de même !  

Je ne voulais pas lui laissé le libre arbitre, alors je n’ai pas répondu tout de suite. Je l’ai regardé et j’ai fumé ma cigarette devant elle, juste sous son nez. J’aurais pu lui insuffler la fumée au visage, mais je me suis retenu ; et je ne sais même pas pourquoi.

- Je ne suis pas venue pour qu'il y ait le moindre mort. J'avais juste... Une histoire personnelle, que tu ne comprendrais même pas.

Soit elle se foutait ouvertement de moi, soit elle était fondamentalement stupide. Je doutais que venir dans une université aussi mal fréquentée qu’Ouran était une bonne chose pour régler une histoire personnelle, et je doutais que l’arrivée de Misaki Rin en ces lieux ne soit tout à fait réglementaire. J’ai propulsé mon mégot à ses pieds et, avec le sourire le plus hypocrite du monde, je l’ai averti que je n’aimais pas beaucoup les insoumises. Je me suis ensuite tût un instant, parce que de cette manière j’avais l’impression d’avoir le contrôle et de gérer la situation, alors que ce n’était pas le cas. Evidemment.

- Tu sais qu’Hiroki a demandé à quiconque te trouverait de te dénoncer auprès de lui ? Il jubilerait s’il te savait ici. Pourtant, tu vois, je ne sais pas quelle jouissance cela m’apporterait, à moi. Mais tu vas, tout de même, être obéissante et te tenir, n’est-ce pas ? Parce que si tu m’ennuies, je parle. Et si je parle, ils te bouffent, expliquais-je le plus tranquillement du monde, en désignant l’armée d’universitaires qui se tenait derrière elle.

On ne pouvait pas être plus clair. Maintenant restait à savoir quelle était cette fameuse « histoire personnelle », parce qu’il était évident que je n’allais pas la lâcher comme ça. Finalement cette journée florissait à vue d’œil et je ne comptais pas en rester là. Pourquoi gâcher une telle opportunité ? Je tendis la main en direction de la jeune femme, non pas pour la saluer (les poignées de mains, très peu pour moi), mais seulement pour l’inviter à escalader le muret et prendre place à mes côtés. Ce n’était pas parce que je m’étais fait bourreau que je ne pouvais pas être galant. Ma mère me tuerait.  

- Moi, c’est Emmett. Mais j’apprécierai que tu m’appelles « Maître », récriais-je en lui allouant un clin d’œil. Pas sûr que ça marche, mais au moins j’aurais essayé. Alors : qui cherches-tu ?