La journée avait été mauvaise. Très mauvaise. J’avais, par conséquent, décidé de me rendre en ville afin de m’offrir un peu de bon temps. Ce pourquoi j’avais fini par me perdre, à travers les ruelles d’une ville dont je ne connaissais absolument rien. Et puis, j’avais fini là. Juste devant la façade d’un bâtiment qui bizarrement me captivait plus qu’à l’accoutumée.

   J’avais, précédemment, déjà entendu parler du « Fabula Nova ». Le troquet avait plutôt bonne réputation au sein de l’établissement. Et je ne savais pas réellement sur quoi était fondée cette réputation, mais, ce soir, j’étais étrangement homme à me laisser charmer… et même compromettre s’il le fallait. J’attendis un instant devant le sas, car, même si la file d’attente était des plus modiques, j’avais horreur de patienter. J’en profitais, donc, pour me rouler une cigarette ; m’étant, par malchance, assuré qu’il me serait défendu de fumer à l’intérieur du club. En cela, le Japon ne différer pas de l’Angleterre.

   Mon débarquement sur le territoire était encore tout récent et mon pays me manquait plus que tout. Pas tellement spirituellement, mais plutôt de manière concrète. Mes repères avaient totalement disparus, et il m’était affreusement pénible et laborieux d’en bâtir d’autres en si peu de temps. J’étais paumé. J’étais totalement sorti du moule. Et il m’arrivait, encore certaine fois, de me lever en ayant une soudaine envie de roast beef ou de haggis. Et c’était plus qu’une envie, c’était un besoin véritable, une nécessité absolue. Rien qu’en cet instant, j’aurais incontestablement tout donné contre une singularité qui me rappellerait l’Angleterre. La seule faculté dont je pouvais jouir s’érigeait de par le langage nippon, que je métrisais convenablement. Certes, ce n’était pas le dialecte le plus simple à assimiler pour un jeune homme comme je l’étais ; néanmoins, la pratique de la langue en condition réelle me permettait désormais de tenir une conversation … à peu près honorablement.

   Achevant mon absorption d’éther réglementaire, je me décidais enfin à pénétrer dans l’enceinte du bâtiment.
Le club était tel que je l’aurais imaginé. Un certain nombre d’individus – de sexe masculin, majoritairement - hantait les tables et se trémoussait aux rythmes de l’immense piste de danse. La musique me tapait déjà sur les nerfs, mais elle avait le mérite d’inhiber mes pensées. Et ce soir, je n’avais aucune envie de spéculer. J’étais venu pour me distraire et non pour cogiter. Aussi, m’orientais-je tout droit en direction du bar. Seuls quelques ivrognes répulsifs y étaient attablés ; et je décidais, ainsi, de m’installer à l’extrémité du comptoir, à l’angle d’un mur. Emplacement véritablement stratégique puisqu’il me permettait de passer inaperçu parmi la multitude, tout en me suggérant le plus bel angle de vue pour apprécier la scène.

   L’on vint, presque aussitôt, me demander ce que j’eusse désiré. Le barman, ou gérant, était un homme de petite taille, qui ne devait pas dépasser la quarantaine. Je voulais quelque chose de suffisamment fort pour faire taire mon humeur exécrable, qui n’avait pas faibli de la journée. Mais je n’avais aucune idée duquel me soustraire.

- Le jus de bambou, là-bas …, m’exclamais-je, tout en désignant une petite bouteille derrière le comptoir.
- Tu te fous de ma gueule ?
D’accord, sur le coup je n’ai évidemment pas tout saisi. Mais, vu le visage de mon interlocuteur, mes propos ne devaient certainement pas être absolument cohérents. Un court silence s’installa, le temps – peut-être - que j’assimile ma connerie. « C’est de la tequila ! ».
- Fuckin’shit … !! J’étais totalement ahuri, éberlué, abasourdi, médusé, époustouflé. Autant dire que je peinais à y croire. Honestly ?
- Mondialisation, mec ! Tu connais ?!
- Va pour la tequila, alors !

   Ce pays n’était peut-être pas si mal que ça, finalement. Bien que je ne lui eusse trouvé encore bien d’autres désavantages. Tout en me désaltérant, je me rendis compte, suffisamment vite, qu’une jeune employée du club m’était familière. Ou du moins son visage l’était. Au risque de paraître malotru, je la fixais distinctement afin de pouvoir m’assurer de son identité. Mais elle était bien trop éloignée pour que je puisse apercevoir quoi que ce soit de flagrant dans son visage. J’avais peut-être rêvée, ce n’était pas impossible, et ce n’était pas la première fois. Cependant, il me parut suspicieux de reconnaître en elle les traits d’une demoiselle que je puisse avoir fréquenté. Je n’avais connaissance que des élèves d’Ouran. Et encore. Une infime partie seulement. Et, néanmoins, je savais bien que cela ne pouvait être plausible. Et puis, après tout, j’avais beaucoup de mal à distinguer les japonais des uns des autres. Cette comparaison n’avait aucun sens.

- Pas mal la bectance, n’est-ce pas ?
J’avais très bien compris l’allusion. Mais je n’avais pas envie de répondre. Seulement, le barman semblait insister. Je n’avais qu’une envie : lui clouer le bec pour qu’il me laisse tranquille.
- Je ne consomme pas le nem. On ne pouvait pas être plus clair.
Cependant, contre toute attente, ce dernier se mit à s’exclamer d’un rire tonitruant.
- T’es un petit rigolo toi, hein … Crois-moi, t’auras beau t’abstenir autant de temps que tu voudras : on ne tient pas bien longtemps sans femme.

C’est sur ces belles paroles que je décidais de le renvoyer. Sans même chercher à être implicite.

    Je l’avais vu danser. J’avais vu les autres l’observer. Certains comportements masculins m’écœuraient et, ne serait-ce que pour le principe, je serais volontiers allé leur crever les deux yeux. Certes la paresse me tenait en parti-pris, mais enfin : l’envie y était. Et puis, je n’étais véritablement pas d’humeur à me faire emboutir dans les prochaines heures. Pas cette fois-ci, tout du moins.
    Aussi, se tenait-elle, désormais, là, à quelques mètres de moi ; et je n’avais plus aucun doute en fin de compte. J’étais convaincu de l’avoir croisé maintes et maintes fois auparavant. Ce qui fut, en soit, un fait totalement exceptionnel dans la mesure où, hormis cette fois-ci, je ne fréquentais pas le troquet. Je l’évaluais toujours du regard, tentant vainement de souvenir. Mais rien, absolument rien ne me faisait prendre conscience des – sous-entendues – rencontres précédentes. Je prenais mon crâne entre mes mains et alternais successivement calottes et défrichements de crinière. Autant dire que ne supporter pas omettre ce genre de chose. Et là, je faisais un blocage net.
    Me levant brusquement, je me dirigeais vers elle. J’en avais strictement rien à faire qu’elle me prenne pour un psychopathe et ça m’était égal que le tiers du club puisse me tuer du regard. Tout ce que je voulais c’était savoir. Savoir le comment du pourquoi. Parce qu’il aurait fallu de cinq petites minutes de plus et cela aurait suffis à m’achever. Et puis, je n’étais pas en train de me précipiter sur la première inconnue ; cette fille n’était pas une inconnue. J’en étais persuadé.

    Une fois à ces côtés, je remarquais l’attitude et le regard désinvolte de mon précédent interlocuteur à son égard. Je l’accusais intérieurement d’importuner la jeune femme, cependant je doutais qu’elle en fût à sa première fois. De toute évidence, les filles dans son genre avaient assez de tempérament pour se débrouiller seules.
    Je voulais en finir le plus rapidement possible. Je ne voulais pas d’histoire, j’attendais juste une réponse claire, efficace, précise. Des regards attenants se tournaient vers moi et je détestais cela. Surtout venant de frustrés et névrosés, des siphonnés du cerveau qui auraient, sans aucun doute, forcé sur la boisson. Néanmoins, la musique prédominait amplement et je savais que la plus part ne pourrait pas intercepter mes paroles.

- Excuse me ! J’ai comme l’impression de t’avoir déjà vu … On se connait ?

    Et déjà, l'attention du petit monde ne se portait plus sur nous. D'autres jeunes femmes s'étaient concentrées dans l'immense studio et ma seule présence avait suffit à écourter les amateurs, comme s'ils me laissaient le champ libre, comme si le morceau de viande avait trouvé preneur, comme s'ils l'acceptaient et se désistaient. Comme s'ils se soumettaient. Sur le coup, je me suis pas véritablement demander si mon comportement était déplacé ou non. Mais c’est juste : ces propos se confondaient avec les phrases types du « rentre-dedans », la drague de bas niveau. L’on aurait pu aisément se méprendre.
    J’étais sûrement mal lotît avec elle, mais c’était trop tard pour se dégonfler et faire marche arrière de toute façon.

- Non mais … je veux dire … Je suis pas là pour … enfin tu vois. C’est pas une blague, j’ai vraiment - vraiment - l’impression de te connaître …

Okay : it sucks.