Je me retournais avec difficulté sur le flanc, laissant échapper un gémissement de douleur. Comment en étais-je arrivé là ?

- Ils m’ont vraiment pas loupé, ces cons…soufflais-je.

C’était le cas de le dire ; je m’étais fait complétement déchirer.

La pluie torrentielle qui tombait en lourdes trombes me lacérait le visage, dégoulinant de tout mon corps et se glissait furtivement dans ma nuque, imprégnant lentement mon échine. J’avais froid. Non, on pouvait même dire que j’étais congelé sur place. Je me si faible et si misérable… Comme un amas de poussière manquant de s’envoler à chaque bourrasque que le vent soufflait. Comme un pantin désarticulé, démembré, qui avait était négligemment jeté dans la rue. Un vulgaire bout de chiffon.
Voilà la façon dont je me sentais.

Je tentais de me redresser à l’aide de mon coude avant de retomber lourdement sur le bitume. Peine perdue. Je n’avais même plus la force de me relever…
Pitoyable.
Cette pensée m’arracha un rire, celui-ci étant à mi-chemin entre le dégout et l’amertume. C’était risible. Incroyablement risible. N’étais-je donc réellement que le gamin que je paraissais être ? Ne pouvais-je pas être fort, ne serait-ce qu’un instant ?...

Incapable de bouger, je soupirai, apposant mon front contre le macadam détrempé. Je devais avoir l’air bien fin, tiens, à être affalé de la sorte dans cette ruelle, entre des poubelles et un lampadaire… Et dans quel état !... Même le plus miséreux des clochards aurait pu avoir pitié de moi…
Il ne me restait sans aucun doute plus qu’à passer la nuit ici en attendant d’avoir la force de me trainer jusqu’à l’hôpital le plus proche ou je ne sais où. J’aurai très bien pu prévenir un ami pour lui demander de venir me ramasser, mais…comment dire…

Tu n’es qu’un véritable crétin d’avoir oublié ton portable…pensais-je, dépité.

Et puis je pouvais toujours rêver avant de croiser quelqu’un… Cette ruelle n’était pas fréquentée de jour et certainement pas à cette heure-ci, que je devinais vaguement approcher de 20h.
Yep.
Je pouvais toujours rêver.

Pendant un instant, un bref instant, j’en venais à regretter d’avoir croisé ces types. Ils m’avaient frappé avec une violence inouïe et sans retenir aucun de leurs coups. Et pour quel motif ? Pour rien ! Pour strictement rien…quoique… Peut-être que je les avais aussi un peu cherché. Mais rien qu’un peu ! Enfin…peut-être plus que je ne l’aurais du ?
Avec le recul, effectivement, je prenais peu à peu conscience de mes actes. Peut-être que, effectivement, je n’aurais pas dû insinuer leur parenté –évidente- avec un macaque ? Tout comme je n’aurai peut-être pas dû pousser le bouchon un peu plus loin en les traitants de mauviettes ? Et surtout, j’aurai peut-être dû faire attention à leur gabarit –qui valait bien trois fois le mien- et à leur nombre qui s’élevait au nombre de cinq ?...
Sûrement.

Voici la meilleure méthode pour, en quelques minutes seulement, se retrouver sous la flotte, glacé jusqu’au sang, le visage couvert d’hématomes, la lèvre fendue, approximativement la moitié de ses côtes brisée, la jambe droite hors service et le dos en miette ainsi que disposant d’à peu près autant de force qu’un chamalo et tout ça dans une petite ruelle sombre et déserte où personne ne retrouvera jamais votre cadavre.
En bref, j’avais tiré le gros lot.

Alors que je divaguais à des pensées débordantes de cynisme, ma vision se voila d’une légère brume et mes oreilles se mirent à bourdonner d’une façon qui ne me présageait rien de bon.

- Dites-moi que c’est une blague. Une grotesque blague.

La pluie. Toujours et encore la pluie.

Je n’avais pas bougé. Pas d’un seul millimètre. A vrai dire, je n’en trouvai même plus la volonté. Je m’étais fait une raison ; je ne pouvais absolument rien faire dans cet état. Les choses étaient aussi simples que cela.
Une douleur lancinante se propageait peu à peu dans mon crâne, annihilant le cours de mes pensées. Je fermai les yeux, meurtri par le froid qui gagnait progressivement la majeure partie de mes membres.
J’avais mal. Vraiment mal.
Il ne m’était tout bonnement impossible de lutter contre la chaleureuse torpeur qui m’envahissait. Je voulais dormir. Juste dormir. J’avais tellement sommeil… Il me suffisait seulement de me laisser aller quelques secondes, à peine le temps de récupérer un minimum d’énergie pour me trainer loin d’ici.
Me reposer deux petites minutes…pas plus…
Une délicieuse léthargie engourdit lentement mon corps tandis que toute sensation de froid me quittait avant de sombrer dans l’inconscience.


Un signal d’alerte se déclencha dans un coin reculé de ma tête. Un coin que j’avais ignoré depuis un certain moment… Un coin que je voulais oublier.
Quelques mots me parvinrent, vaporeux et confus, n’ayant pas la moindre signification dans mon esprit. Je ne compris juste qu’une brève idée ; celle de me réveiller.
Elle me parut absurde, voire totalement décalée. J’étais tellement bien dans cet endroit, flottant au-dessus de la frontière ou l’inconscience et la conscience ne formaient qu’une.
Oui, j’étais si bien…

Pourtant, alors que je m’enlisais à nouveau dans des profondeurs abyssales, quelque chose vint troubler mon agréable torpeur.
C’était léger, mais j’étais persuadé que qu’on me touchait. J’en étais même sûr. Quelqu’un –ou je ne sais quoi- semblait tenter de me déplacer. Cet événement ralluma aussitôt une faible étincelle de clarté dans ma tête. Que me voulait-on ?...

Je poussais un énième gémissement, ressentant instantanément une vive douleur traversant de part et d’autre mon corps. Je ne pouvais définitivement pas avoir la paix…
Bougeant fébrilement les paupières, je revenais peu à peu à la réalité : je venais de me faire tabasser et m’étais littéralement ramasser sur le bitume d’une ruelle. Jusque-là, tout allait bien (ou presque). Ensuite…eh bien ensuite…c’était le trou noir. Néant.
… Je m’étais évanoui ? Ça me semblait plus que probable, en effet…
Une voix, comme sortie de nulle part, se fit entendre prêt de mon oreille. Je sursautais, tournant la tête –un peu trop vite, car celle-ci émit un craquement de protestation…- pour apercevoir l’individu qui venait de m’adresser la parole. La vision encore légèrement brumeuse, je mis un certain temps avant de réussir à distinguer parfaitement celui qui me soutenait avec peine. Et, à ma plus grande surprise, il s’agissait d’une jeune fille à peine plus âgée que moi.
Confus et extrêmement gêné, je me dégageais d’elle avant de chanceler et de butter contre la façade d’une bâtisse. J’étouffais un cri, portant une main à mes côtes. Effectivement, un bon nombre devait être complètement fracassé…

-‘Tain…

Soupirant avec difficulté, je prenais appuis sur le mur. Tenir debout représentait un effort si accablant…
Je relevais la tête vers la demoiselle, la scrutant fébrilement derrière ma frange dégoulinante d’eau.
C’était la honte. Mais alors la honte totale.
Qu’une fille vienne me porter secours alors que j’étais dans un état aussi pitoyable…c’était si humiliant…

-Je…je vais…bien…articulais-je en baissant piteusement le regard. Merci…mais je n’ai pas besoin…de votre aide…

L’ignorant tant bien que mal, je prenais une grande inspiration et tentais de mettre un pied devant l’autre. Ma jambe m’envoya immédiatement d’ardents signaux de douleur.
« La fierté me tuera un jour…»songeai-je. C’était bien le cas de le dire…

J’observai distraitement ses mouvements du coin de l’œil et, à première vue, elle n’eut pas la réaction que j’espérai… Bien que cela m’irrita quelque peu, une part de moi n’en fut absolument pas surprise. Je devais être dans un état tellement désastreux que mes paroles n’avaient aucun impact sur l’inconnue.
Elle posa ses mains sur ses hanches, peu convaincue par ce que je venais de dire et s’approcha de moi tout en me parlant.

-Désolée  mais c’est dur à croire vu ton état. .. Et puis de toute façon ce n’était pas une question j’ai bien l’intention de m’emmener chez moi pour que tu te reposes un peu et que je te soigne un peu. Tu y seras beaucoup qu’ici alors pas d’objection, je t’emmène.

Et, avant que je ne pus dire quoi que ce soit, elle se saisit de mon bras qu’elle passa au-dessus de ses épaules et plaça le sien dans mon dos avec prudence.
Je ne comprenais pas pourquoi elle agissait de la sorte. Non, j’étais tout à fait incapable de comprendre cette obstination insensée. A quoi cela lui servait-elle de me porter secours ? Elle ne me connaissait pas et ne savait rien de moi. Si j’étais dans un tel état à présent, c’était en partie de ma faute… Alors que cherchait-elle en agissant de la sorte ? Voulait-elle que je lui sois redevable par la suite ? Que je lui donne de l’argent en guise de remerciements ? Impossible. Si c’était de l’argent qu’elle voulait, elle aurait très bien pu me faire les poches et repartir comme elle était venue. Ce n’était pas avec un état comme le mien que j’aurais pu l’en empêcher.
Mais alors quoi ?

Mon regard s’attarda une fois de plus sur l’inconnue. Elle était trempée, tout autant que moi, et semblait peiner sous mon poids. C’était ridicule. Pourquoi tentait-elle de m’aider alors qu’elle se retrouver dans une situation si peu confortable ? Elle pourrait rentrer chez elle, rester bien au chaud, et pourtant elle était là, debout sous la pluie, aidant un sale gosse tel que moi dont elle ignorait absolument tout…
Je me redressai un peu plus, tentant de ne pas trop m’appuyer sur elle pour la soulager de ma charge. Elle restait une fille après tout…

-Vous…

Je m’arrêtais, me rendant compte que je l’avais vouvoyé depuis avant alors qu’elle ne devait être âgée que de quelques années de plus que moi.
« Depuis quand est-ce que je vouvoie quelqu’un moi ?... Y a pas à dire, je suis vraiment atteint… »

-Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Tu ne me connais même pas… Si...si tu attends quelque chose de ma part en agissant de la sorte, tu peux tout de suite arrêter…

Il y avait une raison. Forcément. Les gens ne s’aidaient pas sans motif. Comme c’était le cas pour tout ce qu’ils entreprenaient. Ils n’agissaient que dans leur propre intérêt, sans réfléchir à ce qu’on pourrait en penser. Sans réfléchir à la manière dont les autres pourrait le prendre. De la façon dont ils pourraient se sentir…
Je ravalais ma salive, reprenant mes esprits. Mes pensées divaguaient encore et toujours vers la même chose.
La seule et unique chose que je voulais oublier.